1. Comment reconnaître les signes d’un mal-être profond, et les différencier d’un baby-blues passager et sans gravité ?
  2. Quand et comment se faire accompagner ? Par qui ?
  3. Comment agir en matière de prévention ?

 

 

Question 1 – Comment distinguer la dépression post-partum de troubles psy léger ? Quelle(s) différence(s) avec un simple baby blues ?

Dr. Fanny Jacq : “Tout d’abord la principale différence est dans la durée : le baby blues démarre en général au troisième jour de l’accouchement, car il est lié à la chute hormonale, et il dure très peu de temps : de quelques heures à 48 heures.

La dépression post-partum survient dans l’année suivant l’accouchement, en général plusieurs semaines après, avec un pic à 3 mois de l’accouchement. Et elle dure plusieurs mois, surtout si elle n’est pas prise en charge.

L’autre différence se situe dans l’intensité des symptômes : pour le baby blues, les symptômes sont assez intenses, et surviennent brutalement pour « disparaître comme ils sont venus ». C’est une sorte d’orage émotionnel et hormonal.

Pour la dépression post-partum, au contraire, les symptômes vont apparaître progressivement, insidieusement, et vont s’amplifier au fur et à mesure du temps, comme dans le cas d’une dépression « classique ».

Enfin le baby blues est plus fréquent puisqu’on estime qu’il touche environ 80% des femmes en post-accouchement alors que la dépression post-partum est plus rare, environ 15% des femmes, même si ce chiffre est sans doute sous-estimé en raison d’une carence de dépistage.”

 

Question 2 – Quels sont les signes qui doivent alerter la jeune maman ou son entourage ?

Dr. Fanny Jacq : “Être fatiguée, chamboulée émotionnellement, un peu sur les nerfs et irritable lorsque l’on vient d’accoucher est parfaitement normal. Néanmoins, si ces signaux persistent, et surtout qu’ils s’associent à de la tristesse, de la lassitude, de l’anxiété, ils doivent alerter la maman.

La dépression post-partum va finalement mêler des symptômes « classiques » de dépression : tristesse, ralentissement, angoisse, fatigue, troubles du sommeil et de l’appétit, voire idées noires ; à des symptômes centrés sur la maternité : difficultés à s’attacher et à faire le lien avec son bébé, culpabilité, peur de ne pas y arriver, sentiment de ne pas être une bonne mère, d’être débordée, ruminations sur son rôle de mère.”

 

Question 3 – Quels sont les principaux besoins des parents lors de la période qui précède et qui suit l’accouchement ?

Fabienne Bretin : Un suivi obstétrical sérieux et rigoureux constitue la première nécessité.

Vient ensuite le besoin d’une information fiable, bienveillante et adaptée au niveau de compréhension des jeunes parents. Il concerne tout d’abord les processus biologiques, psychiques et affectifs touchant le bébé et la maman.

Il concerne en outre le papa qui souhaite se « faire une place » dans la famille nouvelle et « récupérer sa place » dans le couple.

Du point de vue pratique, les questions précises à aborder peuvent traiter de l’alimentation de l’enfant, la capacité de la mère à « assurer » lors du début de l’allaitement maternel, son bien-être.

Viennent ensuite les questions concernant « le retour à la normale » de l’aspect physique maternel et des relations sexuelles.

Ce qui est déstabilisant pour les parents c’est qu’il n’existe pas de « tuto » pour gérer cette situation – à laquelle s’ajoutent le caractère fluctuant des interactions parents/enfants, mère/père, la singularité de la relation, les multiples déterminants, etc.

L’accompagnement non intrusif et bienveillant de l’émergence de la parentalité est indispensable à cette période. Il implique une grande disponibilité du/ de la professionnel(le) en contact avec la famille nouvelle qui va renforcer la confiance en eux des parents pour les mener vers l’autonomie.”

Dr. Fanny Jacq : “Les parents ont besoin d’être rassurés, de ne pas se sentir isolés et de ne pas avoir l’impression d’être les seuls à ne pas « assurer » avec leur bébé.

Ils ont aussi besoin de l’aide de l’entourage quand c’est possible pour les tâches du quotidien, surtout s’il y a d’autres enfants, afin de pouvoir se focaliser sur les premières semaines de leur nouveau-né.

Enfin ils ont besoin dans la mesure du possible de se reposer un peu et de grappiller dès que possible quelques heures de sommeil !”

 

Question 4 – Quelles peuvent être les personnes ressources pour les jeunes parents et surtout la jeune maman ?

Fabienne Bretin : “Dans la plupart des cas, le trio sage-femme, gynécologue, médecin généraliste est suffisant.

En cas de baby blues profond ou prolongé, ou de comportement inadéquat avec l’enfant, la sage-femme chargée du suivi de la patiente et du nouveau-né à domicile peut orienter vers le/la généraliste ou le/la gynécologue habituel(le), voire vers une consultation psy en cas de suspicion de dépression.

La prise en charge « idéale » est celle effectuée par un/une professionnel(le) connaissant bien la personne afin de pointer un éventuel « dérapage » le plus tôt possible.”

Dr. Fanny Jacq : “En cas de nécessité de prise en charge sur le long cours, il est essentiel de consulter un psychologue ou un psychiatre, si possible spécialisé dans la périnatalité et le post partum.

On choisira plutôt un psychiatre quand l’état de la patiente exige un traitement médicamenteux ou un arrêt de travail à la suite de son congé maternité.”

 

Question 5 – Quels sont les risques encourus en cas de retard ou de défaut de prise en charge ?

Dr. Fanny Jacq : “Le risque principal est que le lien mère-enfant ne se fasse pas convenablement, que la maman ait par exemple du mal à s’attacher, en particulier lorsqu’elle est épuisée. Car cela génère des risques de répercussions sur le bébé et son développement précoce.

Une dépression post-partum non soignée peut aussi engendrer des problèmes de couple, par manque de compréhension et de communication.

Enfin elle peut aussi aboutir à des symptômes sévères tels que des idées suicidaires, voire des tentatives de suicide.

En conclusion : une dépression post-partum ne doit jamais être prise à la légère.

 

Question 6 – Quels sont selon vous les pièges que les jeunes parents doivent à tout prix essayer d’éviter ?

Fabienne Bretin : “Mieux vaut éviter de prendre des conseils provenant de sites internet ou auprès de praticiens non médicaux, les blogs divers et variés, les conseils potentiellement toxiques en tous genres (voisines, « amies qui vous veulent du bien », famille, etc.).

Tout petit « bobo » peut potentiellement être un signe avant-coureur. C’est pourquoi le post partum nécessite une capacité d’écoute empathique très importante de la part des équipes de santé, auxquelles ne peut pas se substituer l’entourage familial ou amical.”

Dr. Fanny Jacq :  Le piège à éviter également est celui de l’image : l’image de la mère parfaite, de la famille parfaite, qui gère parfaitement bien l’arrivée d’un nouveau-né.

Image d’Epinal fortement véhiculée par la pression des médias et des réseaux sociaux. Cela peut être source de stress et de pression pour la mère qui va culpabiliser en ne se sentant pas à la hauteur et seule au monde à ne pas s’en sortir.

Parler est essentiel pour déculpabiliser les nouveaux parents : il est tout à fait normal d’être épuisé, décontenancé, chamboulé et d’avoir besoin de demander de l’aide.

Attention aussi à ne pas tomber dans l’automédication par désir de s’en sortir seul.”

 

Question 7 – Quels sont vos conseils de prévention aux jeunes parents pour gérer au mieux la période ?

Fabienne Bretin : “Il faut d’abord instaurer un suivi régulier par un professionnel ayant toute la confiance de la patiente, et ce pendant toute la durée de la grossesse.

Un examen/entretien du 4ème mois complet doit permettre de repérer et évaluer tous les facteurs de risques, dans un dossier bien renseigné.

La préparation à la parentalité par une sage-femme en présence des deux parents et comportant un volet post partum et puériculture, est également chaudement recommandée.

C’est lors de ces différents échanges que le risque de dépression post-partum sera évoqué car il est important d’en informer les jeunes parents, tout en ayant soin de ne pas amplifier les angoisses.

Au retour à domicile, le maintien d’une coordination de qualité entre les professionnels intervenants est essentiel. Des consultations alternant visio et présentiel pourront être recommandées pour dépister et traiter un trouble éventuel.

Enfin, il est conseillé d’adopter le rythme de sommeil de l’enfant pour récupérer correctement, et de porter l’enfant en peau à peau pour le et se rassurer.

N’oublions pas que l’énergie déployée lors de l’accouchement équivaut à celle nécessaire pour un marathon, d’où une grande fatigue, sans compter les bouleversements hormonaux ! Dans beaucoup de sociétés il est d’ailleurs d’usage courant que mère et enfant observent une quarantaine de repos après la naissance.”

Dr. Fanny Jacq : “Premier conseil : j’insiste moi aussi sur la nécessité de se reposer un maximum. Pendant les 2 ou 3 premières semaines, essayez de passer environ 10h par jour au lit avec votre tout nouveau-né, par exemple de 22h à 8h. Vous allaitez, ou vous donnez le biberon allongée dans le lit, vous le changez et vous occupez de lui… dans le lit.

Si vous restez 10 heures dans votre lit, il est probable qu’au final vous réussissiez à dormir environ 6 heures, ce qui est suffisant pour tenir le coup à long terme.

Deuxième conseil : laissez tomber l’idée d’être parfaite ! Il faut changer ses priorités, au moins sur les premiers mois : tant pis si la famille mange des plats surgelés, tant pis si vous ne faites plus le ménage à fond toutes les semaines, ou si les vêtements ne sont pas repassés.

Limitez les visites à une ou deux par semaine, et pas besoin de mettre les petits plats dans les grands pour les visiteurs !

Troisième conseil : prendre du temps pour soi, au moins un peu ! Une coupe chez le coiffeur ou une séance de cinéma, ça fait du bien. On peut faire une liste de naissance en commandant des bons pour se faire livrer les repas ou organiser quelques heures de baby-sitting plutôt que pour un couffin, des jouets ou des vêtements pour le bébé.

Ce qui est bon pour soi est forcément bon pour le bébé, qui a sûrement plus besoin d’une maman en forme et qui se sent bien avec sa nouvelle coupe de cheveux que d’un énième pyjama.

Enfin, des applications mobiles de soutien psy très sympas comme Mon Sherpa existent pour vous donner tout un tas de précieux conseils afin de prendre soin de son mental.”

 

Question 8 – Docteur Jacq, vous qui êtes psychiatre et aussi maman de quatre enfants, quelles anecdotes souhaitez-vous partager à nos lecteurs ?

Dr. Fanny Jacq : “Je peux vous parler de moi, puisque j’ai accouché il y a 6 mois de mon quatrième enfant.

Je n’ai pas fait de dépression post-partum mais un baby-blues sévère à la maternité, qui fort heureusement n’a duré que deux jours.

J’avais l’impression que le temps passait trop vite et que je ne profitais pas assez de mon nouveau-né qui selon moi « grandissait à vue d’œil ». Du coup je culpabilisais beaucoup de ne pas assez « en profiter », je comptais les heures en disant « mon dieu, elle a déjà 80 heures, puis 81 heures, 82 heures… ça passe trop vite! », et cela me rendait triste.

Tout ça pour dire que cela peut arriver à tout le monde et que c’est important de rapidement en parler.

L’une de mes amies a fait une dépression du post-partum à l’arrivée de son premier enfant, Cela a été long et douloureux, et elle a mis du temps avant d’avoir envie d’un deuxième enfant.

Cette dépression était surtout liée à son désir de perfection : elle dormait très très peu et profitait du temps de sommeil de son nourrisson pour faire la cuisine, le ménage, du sport etc. Bref elle s’est épuisée !

A l’arrivée de son deuxième enfant elle a ouvert une cagnotte et a utilisé l’intégralité de la somme pour s’offrir, pendant 3 semaines, les services d’une nounou de nuit. Cela lui a changé la vie !”

 

A propos de Fabienne Bretin

  • Maman de deux grands enfants de 25 et 27 ans.
  • Sage-femme hospitalière retraitée du CHRU Strasbourg, niveau 3 dans différents services dont les suites de couches.
  • 10 ans d’expérience dans la préparation à la naissance en sophrologie.
  • 8 ans d’activité en Assistance Médicale à la Procréation, référente préservation fertilité avant traitement délétère.
  • Chargée de cours à l’école de sages-femmes de Strasbourg.
  • Renfort sanitaire en 2020 à Saint Laurent du Maroni et en 2021 à Cayenne, Guyane française.

A propos du Dr Fanny Jacq

  • Maman de quatre enfants de trois mois à 14 ans.
  • Médecin psychiatre spécialisée en thérapie comportementale et cognitive.
  • Directrice santé mentale chez Qare.
  • Co-créatrice de Mon Sherpa en octobre 2019.

Sources :

https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/depression-troubles-depressifs/comprendre-depression

 

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